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Flame Arrow Publishing

Fleur de mémoire (Novella 0.5)

Fleur de mémoire (Novella 0.5)

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Une arche sous-marine qui abrite les derniers survivants. Un jeune docteur torturé par son passé. Une force mystérieuse qui pourrait les faire sombrer dans la folie.

La surface n’est plus qu’un rêve érodé par le temps. Un souvenir oublié.

Mais Skyler Goldberg ne veut pas abandonner pour autant. Au risque de tout perdre. 

Est-ce qu’un jeune docteur en devenir pourra leur montrer la voie de la rédemption dans un monde délaissé par son créateur?

Fleur de Mémoire est la préquelle de la série de science-fiction dystopique Amarante. Idéal pour les fans de la série les 100 et de Snowpiercer, le Transperceneige.

Aperçu du premier chapitre

Chaque respiration est un supplice. L’attente, insupportable. L’espace d’un instant, l’homme semble être enfin délivré de son mal, mais au dernier moment, il inspire une longue goulée d’air, comme s’il se noyait.

Skyler garde un œil attentif sur les signes vitaux irréguliers de son patient.

Les Fées s’acharnent sur leur victime cette fois-ci. Elles sont imprévisibles, mais surtout sournoises. À ce stade-ci, elles le raviront une fois pour toutes, en le laissant pénétrer dans leur royaume invisible. C’est un aller simple. D’abord, elles font rêver d’un monde où tout est possible, où le Déluge ne s’est jamais produit. Les visites se font un peu plus longues chaque fois, la séparation avec la réalité davantage difficile. Puis, la descente aux enfers commence.

Se laisser tenter n’a rien de honteux. Skyler aussi voudrait une seconde chance.

Mais les Fées n’existent pas, évidemment.

L’odeur de solvant qui émane du patient donne le signal pour préparer la procédure. Tout doit être prêt avant qu’il ne passe de l’autre côté. C’est un échange qui se fait rapidement, à peine quelques minutes. Chaque instant compte.

Skyler s’éloigne momentanément pour aller chercher ce dont il a besoin pour la suite. Il se fraie un chemin parmi les caisses de médicaments – surtout des antidouleurs – vers le fond de la salle circulaire où se trouve une armoire, un peu en retrait. Il retient son souffle et tire le grand tiroir dont le métal usé frotte par à-coups, comme s’il se lamentait. Une douzaine de sphères restantes reposent sur leur coussinet, endormies, dans l’attente d’un hôte. Celles qui manquent sont déjà pleines de vie. Skyler prend note qu’il devra aller se réapprovisionner bientôt dans l’entrepôt du centre de soins.

La douce fraîcheur du verre transparent sur sa paume le fait sourire. C’est une victoire qui changera le cours de l’Histoire. Les résultats tangibles prendront encore du temps, mais l’accomplissement est là.

Il referme le tiroir en prenant soin de ne pas pousser brusquement afin de ne pas les abîmer. Elles sont précieuses, le fruit de plusieurs années de recherche et de discussions envenimées avec son mentor, le docteur Nazar.

Skyler retourne auprès du mourant sous le regard observateur de Mira qui griffonne quelques notes. La peau de sa collègue est étrangement pâle, ses taches de rousseur presque invisibles dans la lumière blessante qui grille les couleurs sur son passage. La division Delta aurait déjà dû s’occuper du piètre éclairage de l’unité de soins mais, comme pour toutes les requêtes à bord de l’Arche, il faudra s’armer de patience.

Il place la sphère à la tête de lit, dans le trou relié à l’encéphalogramme : l’écran tactile intégré affiche des courbes qui s’entremêlent. Skyler prépare la calibration en vérifiant la signature de l’activité cérébrale de l’hôte : un amalgame de fréquences que le système reconnaît, un peu comme une empreinte digitale.

— Je ne suis pas certaine de comprendre, lui dit Mira qui s’approche du moniteur, stylo en main.

— Assure-toi d’ajuster la sphère aux fréquences maximales et minimales, explique-t-il en pointant les chiffres affichés. Si on veut avoir une chance d’encoder tous ses souvenirs, il faut être aussi exact que possible. La moyenne ne suffit pas, on doit faire un balayage visuel des données des dernières vingt-quatre heures.

— Les mesures du système ne sont pas bonnes ?

— Il a tendance à omettre les variations subites. Elles sont importantes pour stocker toute sa mémoire. Par contre, si la portée est trop large, les interférences sont trop nombreuses et ce sera impossible de distinguer les souvenirs les uns des autres.

— C’est bon à savoir.

Un râle étouffé attire leur attention. L’homme est dans un état critique.

— Tiens-toi prête.

L’attente a toujours quelque chose d’à la fois énervant et profondément triste. Même si, tout comme Mira, il est entraîné à ne pas être affecté par ce qui arrive à leurs patients, Skyler ne peut s’empêcher d’avoir un pincement au cœur pour Francisco. Le pauvre homme n’a personne avec qui passer ses derniers moments. Aucune famille pour l’accompagner.

Quand les Fées font leur travail, pourtant, leur victime ne ressent pas nécessairement de regret. Au contraire. Des regards perdus, des sourires béats. Un faux bonheur vers la mort.

Un long soupir rauque. L’odeur âcre qui retourne l’estomac. Francisco n’est plus.

— Maintenant, dit Sky d’un ton ferme.

Il surveille Mira qui active la procédure de transfert.

Quatre minutes. Ça ne prend que quatre minutes pour extraire les expériences vécues par un être pendant toute une vie. Ça semble bien peu, mais pas impossible.

Des étincelles naissent au centre de la sphère qui s’éveille. Elles deviennent de longs filaments comme des cheveux qui se diffusent dans l’eau, s’enchevêtrent et tourbillonnent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Si seulement tous ceux qui ont précédé Francisco dans la mort avaient pu avoir la même chance. La vie de chacun des Archéens est précieuse pour ceux qui repeupleront la Terre. Leurs ancêtres se sont battus pour survivre. Qu’en est-il de leurs joies, leurs peines, leurs craintes, leurs exploits ? Ce qui les rendait humains ?

Oubliés. Tous.

Le temps est écoulé lorsque le tourbillon ralentit et que la lueur se stabilise. La sphère brille d’un éclat écarlate, typique des victimes de la maladie. Les fréquences électriques déterminent la teinte qu’elle prendra : c’est une signature biologique qui ne trompe pas, chaque individu étant unique. Le Syndrome des Fées altère cette signature. On ignore pourquoi, mais Skyler compte bien le découvrir. À sa façon s’il le faut. Aucune chance que la division Delta s’en charge : ils ont d’autres priorités.

— Est-ce que tu as d’autres questions ? demande-t-il en déposant la sphère encore chaude dans un coffret de transport coussiné qu’il a sorti de l’armoire.

— Je crois que ça va, lui répond-elle en terminant de prendre ses notes. Reste plus qu’à essayer par moi-même la prochaine fois.

— Tu y arriveras, l’encourage-t-il avec un sourire. Tu as toujours été l’une des plus compétentes ici.

— Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? fuse une voix qu’il aurait préféré ne pas entendre.

Chris. Le fils de Duke Kay, général du Parangon de la division Thêta. Premier de classe, il avait l’embarras du choix ; il aurait pu rejoindre les rangs d’une armée prête à lui répondre au doigt et à l’œil. Au lieu de ça, il a décidé de pourrir leur existence au centre de soin. Sûrement que son père n’en pouvait plus lui non plus. Maintenant, Chris est le problème de Skyler.

— Je veux dire, se donner tout ce mal pour des gens sans histoire ? ajoute Chris qui se croise les bras, son visage parfait déformé par son habituel rictus.

Chris le toise. Ses joues sont toujours aussi imberbes malgré sa jeune vingtaine, ce qui lui donne un air faussement innocent.

— Et la tienne, en vaut-elle vraiment la peine ? ne peut s’empêcher de rétorquer Skyler.

— Mes connaissances en médecine moderne pourront servir aux générations futures. Quant à lui, dit Chris qui désigne le patient décédé d’un air dégoûté, le Syndrome a déjà affecté son cerveau au-delà de l’irréparable. Est-ce que tu veux vraiment que l’on se souvienne de ses accès de folie ? À quoi bon ?

— Et si c’était la clé pour nous sauver ? Tous ? demande Skyler, les doigts crispés sur le coffret.

Chris renâcle avec un demi-sourire amusé.

— Ne prends pas tes rêves pour des réalités. Ce n’est pas parce que la docteure Siria appuie tes idées qu’elles vont nécessairement faire une différence.

— Moi au moins j’essaie de faire quelque chose pour donner un sens à notre travail. À chacun de nous.

Chris s’approche assez pour que son souffle lui érafle le menton.

Skyler ne bronche pas. Depuis le temps, Chris est toujours le même. Il suffit de l’éviter autant que possible, voire l’ignorer, mais travailler ensemble complique les choses. Pourquoi Chris se donne-t-il autant de mal ? S’il s’appliquait autant avec ses patients qu’à lui pourrir la vie, personne n’aurait à se taper des heures supplémentaires à répétition.

Un éclat furtif passe dans le regard de Chris. De l’amusement ?

— Tu perds ton temps, raille le fils de Duke. Ce Syndrome est une fatalité qu’il faudra accepter. Ce n’est que la juste réponse à nos péchés.

Mira cligne des yeux et les dévisage tour à tour. Chris pense avoir la réponse à tout, un trait sûrement hérité de son père, mais s’il y a quelqu’un qui devrait passer plus de temps au sanctuaire à réfléchir à ses péchés, c’est bien lui. D’ailleurs, y est-il jamais allé ? Ce serait surprenant. Sa famille n’est pas reconnue pour être croyante. Même sa mère n’a pas eu droit à de véritables funérailles.

— Qu’est-ce que tu en sais au juste ?

— Pas besoin d’avoir la science infuse pour comprendre ça, Sky. Tu me déçois. Vraiment. Je t’aurais cru plus perspicace, mais on dirait que sympathiser avec ces faibles t’a affecté.

— Je n’ai pas de comptes à te rendre, alors ôte-toi de mon chemin. J’ai du travail qui m’attend.

Chris considère sa demande pendant un long moment – suffisamment pour que Skyler songe à le pousser – puis il se tasse légèrement.

Une occasion ratée. Il y en aura d’autres.

— D’un côté, je comprends le docteur Nazar, dit Chris d’un ton pensif alors que Sky s’apprête à rejoindre le hall. Moi aussi j’aurais cédé simplement pour ne plus t’entendre râler.

— C’est ça, dit Skyler, le dos tourné, prêt à sortir.

Mira demande à Chris d’arrêter, mais Skyler ne s’y attarde pas. C’est toujours comme ça avec Chris. Il s’est opposé à ce projet depuis le début. D’après lui, les sphères de mémoire devraient être réservées à ceux qui le méritent vraiment. Qui est-il pour juger de ça ?

Chacun a droit à sa chance.

* * *

Leurs ancêtres se sont battus pour survivre. Qu’en est-il de leurs joies, leurs peines, leurs craintes, leurs exploits ? Ce qui les rendait humains ?
Oubliés. Tous.

L’éclairage cru de l’unité de soins fait place à la lumière tamisée du corridor qui imite l’éclat ambré du crépuscule… du moins c’est ce qu’ils disent à ce propos à l’Académie. Skyler frotte ses yeux brûlants d’une main. L’oxygène sous-marin mal filtré contamine le vaisseau. Son père lui a souvent parlé des problèmes de ventilation et du taux d’humidité élevé auxquels lui et ses collègues de la division Delta, la plus importante de l’Arche, doivent faire face.

Skyler évite une flaque d’eau de justesse en se dirigeant vers l’ascenseur le plus proche. Sous l’éclairage du soir, les perles de condensation qui tapissent les portes brillent faiblement.

Skyler prend place parmi quelques Archéens civils qui arborent l’uniforme des Deltas – ils sont partout ou presque, étant donné la charge considérable qu’est l’entretien du vaisseau et de ses équipements. Certains discutent à voix basse entre eux. Skyler relâche légèrement le coffret qui semble vibrer dans ses mains. Il le serrait tellement fort que ses doigts en sont encore raides. Il effleure du bout des doigts les boutons numérotés de l’ascenseur. Certains sont presque effacés, comme celui du réfectoire ou des cabines, mais le sept, lui, est bien visible, même luisant. Il appuie dessus.

L’arrivée impromptue de Chris l’a mis dans un sale état. S’il pouvait arrêter de lui rendre la vie impossible… Chris a abusé de sa confiance par le passé et il ne la recouvrera jamais. Et son attitude désobligeante n’aide pas sa cause.

Le grincement métallique de l’ascenseur n’a rien pour rassurer, mais cela fait partie du quotidien. L’Arche a plus d’un siècle d’existence, cela va de soi.

Les gémissements d’un bébé qu’il n’avait pas aperçu plus tôt lui rappellent amèrement que leur avenir est incertain. Et pas seulement l’ascenseur qui prend un temps fou, mais les chances de sortir vivant de ce vaisseau.

Une fois arrivé au septième étage, Skyler longe le couloir jusqu’à deux grandes portes en verre. Il croise deux agents du Parangon qui patrouillent silencieusement, leur bâton électrique bien en évidence. Une voix électronique lui demande de s’identifier. Il passe le bracelet qu’il porte depuis sa naissance devant le lecteur. L’accès lui est automatiquement accordé. Une brise fraîche lui donne le frisson.

« Bienvenue aux Archives de l’Humanité. Que la rédemption vous soit offerte. »

Si seulement c’était si facile… la preuve qu’une machine a le pouvoir de banaliser des mots censés réconforter.

Il s’engage dans le lobby des Archives hautement protégées – caméras de surveillance bien en vue et portes dissimulées à même les murs –, car elles recèlent tout ce que les Archéens connaissent de la civilisation de leurs ancêtres. Chaque fois qu’il y entre, il a l’impression de pénétrer dans un lieu sacré ; dans une lumière diffuse, un simple corridor mène à une grande pièce circulaire où trône en son centre un bureau d’accueil, tout aussi rond. Les autres employés ne se préoccupent pas de lui, à l’exception d’une jeune fille qui lui prépare habituellement sa Nef. Ils s’échangent un sourire, sans plus.

Les Nefs lui font de l’œil. Visionner des fragments du monde perdu dans ces cabines privées est une expérience enivrante, et il y a déjà passé tout le temps qui lui était accordé ce mois-ci. Cette règle est stupide, car rares sont ceux qui fréquentent cet endroit, mais les Nefs sont limitées et elles doivent être à la disposition de tout le personnel autorisé.

Skyler s’approche du comptoir légèrement surélevé en granit sombre. Un rétroéclairage bleuâtre sur fond obscur n’est pas ce à quoi on s’attendrait des Archives. Elles ne contiennent pas de livres physiques, puisque les flots les ont presque tous emportés. Ceux qui ont été numérisés avant le Déluge subsistent dans des serveurs entreposés ici. Les autres sont perdus à jamais.

La docteure Siria ne s’y trouve pas. Telle qu’il la connaît, elle ne doit pas être bien loin.

Il traverse la grande pièce et s’infiltre entre les parois du mur sombre qui donne sur un couloir impossible à deviner en raison de l’illusion d’optique : noir sur fond noir, parfaite pour tromper les regards indiscrets. Une faible lumière au bout est tout ce qu’il a pour se guider et il presse le pas.

Cette pièce, spécialement aménagée pour le projet des sphères de mémoire, le fait frissonner. Une odeur de plastique neuf chauffé flotte dans l’air. C’est ici qu’elles sont entreposées et décodées. Pour l’instant, rien d’impressionnant, seulement une console et un réceptacle pour collecter les sphères. Une fois activées, les sphères révèlent les mémoires d’existences passées. C’est en tout cas ce que lui a assuré Nathan, l’ingénieur Delta qui a accepté de déroger au protocole régulier pour leur venir en aide.

— Déjà ? l’accueille la docteure Siria, son regard glissant de l’écran de la console vers le coffret. Si j’avais su qu’il y en aurait autant, j’aurais reconsidéré ta demande.

— Vous voulez que j’arrête tout ? se défend-il, les récentes paroles acerbes de Chris en tête.

— Ne te méprends pas, dit-elle en riant alors qu’il ouvre le coffret au-dessus du réceptacle.

Les filaments de la sphère tournoient paresseusement et projettent une valse lumineuse rougeoyante sur les murs. La docteure Siria la dévore des yeux, hypnotisée. Elle se rapproche pour mieux la contempler avant qu’il ne la place dans le réceptacle.

— Je me serais simplement préparée davantage. C’est un grand privilège de pouvoir les ajouter à la collection.

La lueur jette des ombres curieuses sur le visage de Valentina Siria, l’unique médecin qui ose supporter son projet depuis le tout début. Même si Sky apprécie son mentor, le docteur Nazar, celui-ci ne s’est pas moins montré sceptique. La docteure Siria a réussi à le convaincre en prenant tous les risques à sa charge.

— Au moins, ces gens ne seront pas oubliés, dit-il en laissant à contrecœur le globe lumineux aux soins de sa mécène.

Une fois la sphère logée dans le réceptacle, ce dernier s’ouvre et l’engloutit. La pièce perd le rayon de vie qui la faisait vibrer. Ne reste que la froide absence.

— On aura bientôt besoin d’une solution pour que nos efforts ne soient pas vains, ajoute Skyler, brisant le silence contemplatif qui s’était installé. Même si je ne vois pas comment pour l’instant.

— Il ne faut pas perdre espoir, répond-elle, un léger sourire aux lèvres. Si nos ancêtres s’étaient laissés tenter par le désespoir, on ne serait pas ensemble aujourd’hui pour en parler.

Pour combien de temps doivent-ils espérer ? Le repeuplement est improbable à l’heure actuelle et les sphères de mémoire n’en sont encore qu’à leurs débuts. Sans compter le Syndrome qui s’installe. Comment vaincre un ennemi qui n’existe pas ?

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